23 août 2012

La Souffleuse de roses

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Il était une fois, dans un pays fort, fort lointain, une princesse qui vivait dans la plus haute salle de la plus haute tour.

Elle était prisonnière d’un terrible dragon, crachant le feu sur chaque pierre déjà noircie du donjon.

Son seul loisir était de collecter les roses d’un petit jardin, unique parcelle verte au balcon de la désolation.

Mais cela même, le dragon ne le lui laissait pas, la tourmentant sans relâche à peine sortait-elle de sa chambre.

Elle avait juste le temps, une fois au jour, de cueillir une des fleurs du grand rosier.

Elle la humait toute la journée et, au soleil couchant, arrachait chacun de ses pétales, déclamant si le prince charmant qui viendrait la délivrer l’aimerait un peu, beaucoup, ou d’un amour fou. Elle y déposait un baisé et le soufflait sur le vent.

Cela durait maintenant depuis dix années.

*  *  *

Ayant entendu conter les légendes d’une bourgade lointaine, un preux chevalier s’émerveillait devant la plus douce d’entre elles.

Chaque soir, au dessus du paisible village, une rivière de pétale de rose glissait sur le ciel.

Le noble aventurier voulait en savoir plus. Il se rendit à la taverne la plus proche.
Il y entendit mille histoires sur les roses dans le soir.

Puis un ivrogne lui dit : « Montez sur la colline, de là vous pourrez les attraper d’un bras levé. La réponse est soufflée sur le vent, mon bon seigneur, comme qu’ils disent, les poètes. »

Alors le lendemain au soir, il s’y rendit. Et du bras, au vent, un pétale cueillit.

Il en inspira le parfum et senti alors l’odeur la plus enivrante qu’il n’eut jamais humée.

« Je suivrai la rivière de pétales et en trouverai la source de paradis.
Je pourfendrai bêtes et monstres sur mon chemin
 J’en fais le serment devant les Sept de Lumière, je trouverai l’origine de la pluie de roses. »

Ainsi il parti dans l’horizon, chevauchant son fier destrier, tout de caparaçon rutilant ; une flèche d’argent filant vers sa destiné.

Des mois durant il combattit bandits et détrousseurs de grands chemins, sangliers et serpents.

Puis par un midi brillant au zénith d’un soleil brûlant, il aperçu s’élever des roches escarpées la tour vertigineuses d’un donjon.

Il poussa son cheval jusqu’au bout de ses forces pour atteindre avant la nuit l’érection mystérieuse.

Ce dernier tira son dernier souffle à l’orée d’un flan de silex et le noble chevalier fini sa course à pied tandis que l’après-midi glissait sous le soir.

Et au crépuscule rose, un pétale couleur ciel vint lui caresser la joue d’une douce promesse.

Là-haut, à la plus lointaine persienne, coulait la pluie de rose si longtemps poursuivie.

Toutes forces retrouvées, il traversa un pont de pierre, courut le long de couloirs, devant des cachots, sauta sur des marches de marbre et arriva enfin dans une cour. Une cour au milieu de laquelle se tenait un dragon.

« Qu’êtes-vous, être insolant ? », gronda le dragon. « Que venez-vous faire ici, en ce lieu de souffrance ? »

« Je suis noble, lézard infâme ! Et je viens vous pourfendre. »

« M’occire dites-vous ? Et pour quelle raison ? Qu’a fait un vieux reptile pour invoquer votre colère ? Ne souffre-je pas déjà assez sans que les hommes viennent me tuer ? »

« Souffrir ? Mais vous êtes un dragon ! Cracheur d’enfer, pilleur, grand destructeur. Les bêtes ne souffrent pas. »

« Oh si elles souffrent, mon ami. Et moi je souffre. », souffla l’horrible monstre. « Vois-tu cette tour et les fleurs qui en tombent ? »

« Oui je la vois. C’est là que vous retenez prisonnière une princesse en détresse. »

« Prisonnière ? Si seulement elle partait j’en serais apaisé !
Là-haut vit une sorcière plus cruelle que la mort. Elle tue mes fleurs et mon bonheur, arrache leur vie chaque jour un peu plus.
J’ai tenté de lui dire, de lui crier, de la supplier de partir mais en vain. Celle-ci a trop peur pour comprendre.
D’autres ont essayé et maintenant ils sont morts. Car la belle ne partira que lorsqu’elle me verra gire.
Alors attrape ton épée, combat-moi et meurs à ton tour.
Mais je suis fatigué et las de l’acier. Je te tuerai et ensuite je dormirai. Et mes forces ne se trouveront pas assez puissantes pour me réveiller.
Alors à toi je propose ce qu’aux autres je n’ai pas proposé.
Je garde ici un trésor, tel est la besogne des dragons.
Débarrasse-moi de cette sorcière, ou princesse, à toi de voir, et je t’offre mon trésor.
Fais ton choix à présent : l’or ou la fille. Mais tu n’auras pas les deux. »


Et c’est ainsi que le preux chevalier grimpa une à une les marches en spirale du grand escalier et arriva dans la plus haute salle de la plus haute tour.
Il y vit sa dame jetant pétales à sa fenêtre, s’en approcha, sourire au cœur, et la poussa sur le vent.

Le noble héros avait choisit le trésor plutôt que le combat contre un dragon épuisé à l’esprit affûté.


La Justice raconterait bien qu’il ne trouva plus son chemin, que la mort de son cheval l’abandonnait à une fin certaine.
Mais ce ne fut pas le cas.
Il trouva un autre chemin et fini ses jours entouré de femmes, d’alcool et de festins.
Car il n’y a pas de justice pour les justes.


~FIN~